Les “ordres stops”, ou comment le Market Maker gagne sa vie sur votre dos !

Maxime Loves Cryptos
12 min readNov 28, 2018

Les marchés, c’est pas un monde de tendres, d’autant plus dans un contexte aussi peu régulé que celui des plateformes d’échanges de cryptos. Dans cet article, destiné à ceux qui débutent dans l’environnement des marchés, je vous propose de faire fonctionner votre esprit stratège et de vous mettre à l’aise avec la notion « market making ». Accrochez-vous, c’est pas forcément facile à assimiler, même si j’ai essayé de simplifier au maximum.

Nous autres cryptos traders, avons tous vécu cette amère expérience au moins une fois : celle de s’apercevoir sur le graphique que notre stop, c’est le dernier prix de la mèche, juste avant que le marché ne reparte dans l’autre sens. Et là, on enrage à l’idée de voir que le bottom de la vague baissière, et bien c’était NOTRE STOP ! AHHH, un satoshi en dessous, et j’étais pas stoppé !!!

Le REKT classique du trader de shitcoins

Vous avez pourtant été assidus, vous avez lu plein de sites internet, discuté sur des forums, lu des bouquins. Unanimité de pensée : « il faut mettre systématiquement un stop pour protéger sa position ». Cela vous paraît être l’un des commandements du trader, le « sortez couvert » de la crypto. Alors, vous vous exécutez. Et puis PAF ! Ils sautent les uns après les autres. Vous avez à jamais laissé votre trace sur le graphique, car vous êtes le bout de l’énorme mèche, pile avant que ça reparte dans l’autre sens.

Au bout d’un moment, vous ne comprenez plus rien. Vous vous désespérez de vous trouver mauvais à ce point, pour à chaque fois mettre votre stop pile sur le bottom. Et si en fait, la faute ne venait pas forcément que de vous-mêmes, mais plutôt du fait que quelqu’un SAIT où il faut aller pour vous avoir ?

On n’abordera pas ici les aspects mathématiques et techniques du stop. Vous trouverez plein de contenus de qualité sur cela. Ici, nous aurons une approche critique et tactique. On ne va pas chercher à comprendre à quoi sert votre stop pour vous-mêmes, mais l’opportunité qu’il est POUR D’AUTRES. On va se mettre du point de vue des faiseurs du marché, qui vivent grâce à l’argent que VOUS apportez, vous individus pleins d’espoirs de richesse de venir jouer sur un marché « high yield » non réglementé, parce que « cé une révolution, et kon va niké lé financiers lol ». Pour l’instant, ce sont plutôt eux qui vous « rektent » bien. 🙂

Les cryptos, un environnement de marché idéal pour le Market Making

Vous avez sans doute remarqué que nous sommes dans un marché très manipulé (si ce n’était pas le cas, voilà, vous le savez désormais. Et descendez tout de suite de votre licorne). Tel un mantra que je ressasse constamment sur twitter, les cryptos ne sont pas un point de comparaison très pertinent du reste des marchés. Elles en sont une version hystérique. Un peu comme cet ex petit(e) ami(e) follement amoureux(se) qui sur-réagissait à chacun de vos mouvements, mais dont « l’amour fou » s’expliquait en fait par son besoin irrationnel de contrôler l’intégralité de son environnement. (Le trading, c’est de la psychologie on t’a dit.)

Pourquoi cette volatilité folle, qui nous fait tous jubiler ? Parce que le marché des cryptos, notamment, est un paradis de « market making ». Il est peu capitalisé et très facile d’accès. Il est juste assez liquide pour pouvoir « s’amuser » dessus, et il l’est très insuffisamment pour être prémuni des mouvements « organisés ». Si vous n’êtes pas à l’aise avec la notion de liquidité d’un marché, renseignez-vous immédiatement dessus, car elle est fondamentale.

C’est quoi un “rekt” ?

Le principe du marché, c’est la recherche perpétuelle d’un équilibre entre acheteurs et vendeurs, entre l’offre et la demande. Pour cela, il se déplace de zone de liquidités en zone de liquidités. Quand il y a peu de liquidité, il suffit de faire un “market sell/ market buy” massif pour exécuter instantanément une bonne partie du carnet d’ordre, et ainsi faire décaler les prix. Et quand le prix décale, vous connaissez la logique : les ordres stops se déclenchent, puis sont exécutés, ce qui déclenche les stops qui sont derrière, et qui sont payés à leur tour, etc… Un bon gros effet boule de neige.

Ainsi, vous vous retrouvez avec une chasse aux stops auto-alimentée, ce que nous appelons dans notre jargon un « rekt ». Vous avez tous vu cela sur les graphiques d’alts : un volume massif qui casse la tendance, provoque un gros mouvement, puis les prix réintègrent la normalité dans l’heure qui suit. Vous savez, ce genre de mouvements auquel vous avez participé comme un mouton quand vous avez débuté le trading. 😉

Le REKT classique à la hausse : rien ne bouge, puis d’un coup, PAF : volume de titan, la machine s’emballe à la hausse ; vous faites partie de cette giga-mèche

Alors, qui c’est ce fameux Market Maker ?

D’un point de vue théorique, c’est celui qui possède suffisamment de ressources pour déséquilibrer l’offre et/ou la demande.

Des entités pleines de pognon arrivent à faire décaler les grands marchés mondiaux. Le Forex est plein de mouvements comme ceux-là. (C’est marrant ça d’ailleurs, c’est pas justement un marché où les brokers vous recommandent souvent d’aller, parce que “ça bouge bien” ?)

Si on part de ce constat, alors imaginez-vous ce qu’il en est pour une altcoin à 500 000$ de volume quotidien, dont la majorité du stack de tokens est possédée par les créateurs eux-mêmes ; ce qui les place en position de market making. Bien souvent, le but réel et final de leur projet est de transférer de l’argent de vos poches à leurs poches en amenant le marché là où ils le veulent. Le Market Maker, c’est donc celui qui possède le cash ou suffisamment de tokens pour faire bouger le marché.

Dans l’univers crypto, les Market Makers sont donc essentiellement ceux qui possèdent les wallets les plus fournis (les fameuses Whales), et ceux qui ont assez de cash pour assécher le carnet d’ordre et ainsi déclencher les stops. Essayez toujours de déduire dans la poche de qui sont la plupart des avoirs et où peuvent se trouver les tokens. Est-ce qu’il y a une partie des tokens “immobilisés” et qui ne seront pas vendus sans information officielle ? Est-ce que le “capital flottant” est suffisamment bien ventilé entre les différents particuliers + institutionnels pour qu’il n’existe pas de “contrôle du marché” ? Le “supply” est-il potentiellement illimité ?

Maintenant, c’est bien beau d’avoir tous ces tokens, mais il faut un jour les convertir en cash, en vrai, en fiduciaire. Et qui sont les fournisseurs réguliers de cette liquidité qui vient en contrepartie des tokens, dans ce grand casino ouvert 24h/24h qu’est le marché des cryptos ? Bah vous, qui faites mumuse sur les exchanges de manière permanente. Votre liquidité, elle est composée de quoi ? Vous allez me répondre : « de mes ordres d’achats et de vente que je passe sur le marché ». Oui, partiellement. Mais vous oubliez souvent de considérer que votre liquidité est aussi composée de cette chose qu’on vous a recommandé partout d’utiliser pour « protéger vos trades » : vos ordres stops !

Mettre un ordre stop, c’est mettre de la liquidité à la disposition du marché !

Et oui ! Quand vous mettez un ordre stop, vous faites une provision de liquidité pour le marché, tout comme lorsque vous mettez un ordre d’achat/vente classique à 0,0000xxx satoshis.

« Mais pourquoi ? Mon ordre n’est pas dans le marché quand il est en mode stop ?». C’est peut-être votre interrogation.

Pour vous, il n’y a que vous seul qui avez l’info, parce qu’ils n’apparaissent pas dans les carnets d’ordres… Et bien non ! Bien qu’il n’apparaisse pas PUBLIQUEMENT dans le carnet d’ordre, tout plein de gens ont en réalité l’info d’où est votre stop. Et quand on sait où est le poisson, il ne reste plus qu’à venir le pêcher !

Donc retenez cela : placer un ordre stop, c’est donner une info et mettre une provision de liquidité à la disposition du marché. Pas de stop, pas de concours au marché.

Les stops, une protection sincère ?

Commençons le paragraphe par une évidence : les plateformes d’échanges connaissent chacun des mouvements qui se font en leur sein. Elles disposent de l’intégralité du carnet d’ordre, donc de vos stops, quand vous, vous ne connaissez pas les stops des autres utilisateurs.

Et là, commence le voyage dans les eaux troubles. Déjà, les « eaux grises » : certaines plateformes proposent de cacher vos ordres dans le book (hidden orders), ou d’en laisser apparaître qu’une petite partie de la quantité réelle à exécuter (iceberg orders). Déduction simple : ce que vous voyez dans le carnet d’ordre, ce n’est pas la réalité du marché. Vous n’avez pas accès à la liquidité réelle. C’est ce qui fait que parfois, le marché vient chercher direct votre ordre stop. Naturellement, vous avez tendance à placer votre stop en fonction du carnet d’ordre. Vous aimez bien repérer “les murs” et vous choisissez souvent de placer votre stop en fonction. Et bien non ! En fait le mur, c’était vous, la masse réelle était positionnée derrière vous.

🚨 ATTENTION, COMPLOT ZONE ! 🚨

Maintenant, les « eaux noires ». L’insincérité. Êtes-vous au courant de ce secret de Polichinelle que certains brokers (non-régulés) donnent un accès complet au carnet d’ordre, stops compris, pour certains gros comptes ? Avez-vous prévu l’éventualité que les plateformes qu’on utilise quotidiennement proposent des « prestations VIP », avec différents niveaux d’accès au carnet d’ordre ? Peut-être une priorité dans la liste d’exécution ? Tout simplement, dans un contexte non régulé, nous ne pouvons pas exclure l’idée que les plateformes donnent peut-être accès à cette liquidité supplémentaire à leurs VIP. Oui, celle qui est bel et bien constituée de VOS stops !

Bien évidemment, ne vous attendez pas à retrouver ces prestations dans le catalogue officiel. Cela ferait mauvais genre, voyez-vous... Déposez d’abord quelques millions sur les plateformes, puis éventuellement le service commercial vous renseignera de manière confidentielle. 😉

Honnêtement, vous avez suffisamment confiance dans les plateformes d’échanges ? Avez-vous la certitude qu’elles ne vont pas utiliser contre vous les infos que vous leur donnez ? L’argent que vous mettez en provision dans les stops ? De surcroît, pour un algorithme, c’est très facile de lire le carnet d’ordre, de déterminer où est le pool de stops à chasser et combien ça coûte pour le faire. Il y a sans aucun doute des geeks qui programment des logiciels qui font tout ça en un clic.

Ce n’est pas vous avec vos quelques commissions qui faites vivre le business, d’autant plus en ce moment, mais plutôt les whales et autres organisateurs de « pumps & dumps ».

Pour les plateformes d’échanges, autant donc leur rendre service à EUX, plutôt qu’à vous. Dans le restaurant, c’est vous qui êtes dans l’assiette, et ce sont les gros comptes qui sont à table ! Il vous reste encore la liberté de ne pas mordre à l’hameçon pour vous retrouver cuisiné plus tard. Désormais, vous comprenez pourquoi « comme par hasard » votre stop a été déclenché ? Pile dans un endroit « où techniquement il n’était pas atteignable » ?

Voilà pour la partie critique. Maintenant, réfléchissons à comment exploiter les stops au mieux dans ce contexte « ou tou né ke manipulasion ».

Alors ? stops, pas stops ?

Dans un marché piégeux, où le sport principal est justement de chasser les stops, il faut pouvoir tenir des stops TRÈS larges, sur des niveaux Daily, voire Weekly, dans des zones hors chasse aux stops. L’idée générale c’est : grosse volatilité = gros stops. Si vous trouvez que le stop coûte trop d’argent, c’est que votre money management n’est pas bon et que vous ne deviez pas prendre le trade. Mais vous l’avez compris, le mieux, c’est de s’en passer pour éviter de nourrir les Market Makers.

Se servir des stops pour protéger ses petits trades et ses petits gains, c’est justement la fausse bonne idée sur laquelle les Market Makers prospèrent. Vous prenez au mieux quelques miettes, et eux mangent la plus grosse part du gâteau. Ça n’en vaut pas le risque pris.

Dans cet environnement, les stops ne devraient en fait servir que pour leur fonction première de « coupe-circuit » :

  • au cas où la machine s’emballerait de trop, que le marché partirait vraiment dans le sens opposé au votre ;
  • quand vous n’avez pas d’accès matériel et personnel immédiat au marché, et que vous souhaitez vous maintenir dedans. Par exemple, quand vous n’avez pas votre ordi sous la main, que vous dormez, etc…
  • Quand vraiment, vous ne vous sentez pas psychologiquement en mesure de couper de votre propre chef. Et là, vous travaillerez sur vous-mêmes, sinon votre espérance de gain long-terme deviendra vite négative.

Et surtout, on arrête le « stop systématique » !

Maintenant, quelques petits rappels.

Quand on investit = pas de stops !

Petit rappel. Ne mélangez pas tout ! Quand vous investissez dans un coin (dans cet article, j’explique la différence entre le trading et l’investissement), pas de stops !

Investir, c’est accompagner un projet dans son avenir. Ou dans sa défaite. Vu qu’on est convaincu par le fait qu’il finira par nous payer, on ne le lâche pas ! Soit ça paye, soit c’est zéro ! Ou alors on a des arguments solides qui nous indiquent de sortir en perte. On ne sort pas sur un simple coup de mou. C’est comme un mariage (bon courage si c’est avec le/la fameuse petit(e) ami(e) hystérique).

C’est pour ça que de préférence, on investit quand les prix proposés sont très bas. On est dans les cryptos hein ! L’un des trucs les plus difficiles, nouveau, volatil et incertain ! Vous voulez investir sans risque ? Allez voir votre banquier, lui c’est un vrai professionnel de l’investissement. Ici, vous ne comptez au fond que sur vous-mêmes. DYOR, comme aime bien le répliquer le crypto-twitter-expert lambda quand on lui démontre que sa « recommandation » sponsorisée s’avère être un gros scam.

Trader en levier = stop forcé

Le levier implique un stop de facto, que vous ne contrôlez pas : la « liquidation ». Les leviers existent justement pour « compenser » la faible volatilité des prix. On est sur un marché très volatil, utiliser les leviers, c’est théoriquement une aberration. Je connais déjà la réplique du newbie : « mais comment je gagne de l’argent sinon avec mon petit capital ? ». Je te répondrai que je sais surtout comment tu vas le perdre ! Sur un énième REKT aller-retour où tu seras le dernier prix.

Tradez des marchés plus « sûrs » pour utiliser les leviers, dans des environnements régulés, ou au moins en lesquels vous avez une confiance certaine. Utiliser des leviers dans les cryptos, ça revient à utiliser de l’argent que vous avez emprunté dans un environnement où on peut potentiellement vous escroquer. Vous feriez ça dans la vie réelle ?

La bonne démarche, c’est quoi ?

Il faut déterminer où les “chasses aux stops” peuvent s’opérer. Pensez zones de liquidités, c’est à dire là où tout le monde est susceptible d’identifier des résistances et des supports, des cassures de figures chartistes, etc… Utilisez les indicateurs de volumes horizontaux et verticaux. Vous pouvez être sûrs que la plupart des gens ont mis leurs stops dans ces zones. Eloignez-vous de ces endroits où vous avez compris que les batailles se joueront.

Mettez-vous dans la peau du Market Maker. Imaginez-vous avec quelques millions 😋, et demandez-vous comment vous les géreriez dans le marché que vous tradez. Vous allez comprendre que vous aller devoir jouer fin, progressif, repérer où s’est placée la masse de particuliers, pour exécuter tout votre volume sans tuer le marché. Vous saurez aussi quoi racheter d’un coup, ou sur qui envoyer des ordres de ventes massifs pour aller chasser les stops des petits poissons !

En conclusion, est-ce que je recommande de ne pas utiliser de stops ? NON, du tout ! C’est d’abord une affaire d’appréciation personnelle et de vos conditions d’accès au marché. Le but, c’est que vous vous interrogiez sur cette croyance « qu’il faut systématiquement en mettre un ». Il faut la remettre en perspective par rapport à un environnement de marché très propice aux actions de Market Making.

N’oubliez pas que lorsqu’on spécule, le but est de laisser le moins de traces possible, et à l’évidence d’offrir le moins possible de perspectives aux autres de vous faire perdre. Désormais, vous savez à quoi vous en tenir. Vous êtes également au clair sur les combines potentielles des plateformes d’échange qui ne sont pas là pour vous rendre riche.

Bon trading !

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